En préambule de notre ouvrage Des lunes belles comme des soleils, nous rappelions qu’il y a un siècle, année pour année, César Filhol publiait la seule étude d’importance sur les plaques muletières. Nous résumerons très succinctement divers propos de notre ouvrage de 300 pages tout en donnant quelques éclairages supplémentaires que, dans la précipitation de la remise du PDF à l’imprimeur, nous n’avions pu ajouter. Précisons que, de manière à apporter aux lecteurs un réel supplément d’informations, les photos présentées dans cet article ne figurent pas dans notre ouvrage.

Le « corpus » d’étude des plaques muletières

Nous avons observé (en comptant les « plaques » reproduites en photos ou dessins) quelque 950 plaques muletières. Il faut préciser qu’un nombre significatif de « plaques » sont identiques ou présentent de menues différences -certes significatives- mais négligeables. Sur les 450 documents (photographiques et iconographiques) dont nous disposions, 275 furent reproduits dans « Des lunes belles comme des soleils ». Compte tenu des seules informations en notre possession, nous aurions pu observer environ 1200 plaques muletières si nous avions eu accès à certaines collections ainsi qu’aux dessins de Maurice Gennevaux qui font partie des collections du Musée Languedocien de Montpellier. Les spécialistes pourront évaluer à partir de différents critères, le nombre relativement considérable de plaques muletières qui furent exécutées au cours du temps. Observons toutefois qu’il ne faut certainement pas « plonger » dans les plus lointaines origines du transport à dos de mulet ni même appréhender celui-ci au moment où le « bridel » se parât de ces « disques de laiton » mais qu’il convient de considérer seulement l’usage de « lunes » dans le cadre du trafic muletier stricto sensu. D’autre part, pour en revenir au problème de la production de plaques muletières, on peut évaluer la longévité moyenne des « lunes » sans oublier que celles-ci furent en permanence détournées en ustensiles divers ou réutilisées pour réparer d’autres plaques. A ce sujet, nous avons souligné que les « lunes » appartenant aux collectionneurs les plus importants sont généralement en bon état. Il en va différemment de nombreux spécimens figurant dans les collections du Musée Crozatier ou du Musée Ignon-Fabre de Mende. Curieusement, les restaurations plus ou moins grossières donnent aux plaques muletières un intérêt ethnographique qui est partie prenante de l’art populaire. Nous avons répertorié dans notre ouvrage : 172 plaques du Musée Languedocien de Montpellier. 120 plaques du Musée Crozatier au Puy. 84 plaques de la collection Vallentin. 43 plaques de la collection de Cazenove. 48 plaques de la collection René Richard. 32 plaque du Musée Ignon-Fabre de Mende. 10 plaques du Musée César Filhol d’Annonay. 26 plaques du Musée du Vieux Nîmes. 67 plaques du Musée des vallées cévenoles de Saint-Jean-du-Gard. 16 plaques du Museon Arlaten. 20 plaques du Musée Paul-Dupuy de Toulouse. 19 plaques du Mucem. 2 plaques du Musée du Vigan. 2 plaques du Musée des Vans. 3 plaques du Musée de Gap. 5 plaques du Musée Dauphinois. 6 plaques du Musée de Moutiers. 30 plaques du Musée de Genève. 7 plaques de l’Inventaire général Languedoc Roussillon.

Quelque 120 plaques provenant de collections privées. 75 plaques vendues à l’occasion d’enchères. 70 plaques dessinées.

Il faut ajouter les 6 plaques du Musée pyrénéen de Lourdes et plusieurs plaques provenant de collections privées dont nous n’avions pas connaissance lors de la publication de notre ouvrage. Il s’agit donc d’un total approchant les 1000 unités auquel il convient de retrancher différentes redites (de nombreuses plaques passant d’une collection à une autre).

Une pluralité de questions

L’étude des « plaques muletières » suscite de nombreuses interrogations qui relèvent de domaines très divers et auxquelles il est plus ou moins facile et auxquelles nous avons tenté de répondre dans notre ouvrage :

  1- Auteurs ayant traité des plaques muletières. Par ailleurs, nous avons fait appel, au gré de nos connaissances, à plusieurs bulletins ou mémoires de différentes sociétés savantes relatant l’acquisition de telle ou telle plaque. 
  2- Documents iconographiques représentant des plaques muletières.
  3- Dans quelles régions a-t-on utilisé des plaques muletières ? 
  4- Dans quelles régions a-t-on collecté des plaques muletières ? Le lieu de collecte coïncide-t-il avec le lieu d’usage ?
  5- Quelles villes comportaient-elles des ateliers de fabrication des plaques muletières ? 
  6- Nature du métal utilisé pour fabriquer les plaques muletières ? Intérêt de procéder à des analyses chimiques ou spectroscopiques pour déterminer la composition de l’alliage.
  7- Description d’une plaque muletière et de sa charnière.
  8- Fonctions de la plaque muletière.
  9- Les collectionneurs, anciens et contemporains, de plaques muletières.
  10- Technique de fabrication : plaques gravées et/ou repoussées. 
  11- Catégories auxquelles ces plaques renvoient : « plaques armoriées » ; « plaques décorées » ; « plaques à devise » ; « fausses plaques » ; « plaques détournées ».
  12- Statut social du muletier.
  13- L’usage de ces différentes plaques peut-il être mis en rapport avec le statut social du muletier ?  
  14- Peut-on distinguer plusieurs sortes de « plaques armoriées » ? Peut-on parler de « plaques royales » (muletiers du roi), de « plaques communales » ?
 15- Quels sont les « codes » utilisés par les graveurs soucieux de rendre compte des couleurs d’un blason sur une plaque de laiton ?
 16- Représentations figurant sur les « lunes décorées ». 
 17- Quelles peuvent être les sources d’inspiration des « plaques décorées » ?
 18- Classification des « plaques à devise ».
 19- Intérêt des particularismes orthographiques relatifs aux inscriptions relevées sur les plaques muletières.
 20- Comment reconnaître une « fausse plaque » ?
 21- Intérêt des « plaques détournées » et différentes utilisations de ces plaques.
 22- Peut-on distinguer des ateliers plus ou moins importants. De modestes artisans, des ouvriers itinérants, voire de simples paysans ont-ils exécuté des plaques muletières ?
 23- Des artisans divers (fondeurs, bridiers, potiers d’étain, ouvriers itinérants, etc.) ont-ils produits des plaques muletières ? 
 24- Quels outils utilisaient les uns et les autres ? 
 25- Dans quelle mesure peut-on parler de fabrication en série ?
 26- A quelle époque les plaques muletières remontent-elles ? Le recours à l’iconographie et, en particulier, à certains tableaux est susceptible d’apporter des informations permettant de préciser à quelle époque et dans quelle région, on fit usage, à l’exclusion du trafic muletier, des plaques de mulet. 
 27- A quelle époque les muletiers ont-ils fait usage de plaques muletières ? Peut-on distinguer des critères objectifs permettant de dater les plaques muletières ?
 28- A quelle époque a-t-on fabriqué les derniers spécimens authentiques ?
 29- Musées présentant des plaques muletières.
 30- Musées et collections présentant des « bridels ».



Sciences « annexes » et plaques muletières

A l’instar de la plupart des sujets, l’approche des plaques muletières implique le concours d’un certain nombre de disciplines annexes. Nous avons vu que la détermination du métal ou des alliages utilisés nécessitait le recours à une analyse chimique tandis que les techniques utilisées par les orfèvres, les graveurs, les fondeurs, les dinandiers ou les potiers d’étain sont susceptibles d’apporter des enseignements quant aux différentes manières d’exécuter une plaque muletière. On citera l’héraldique qui s’avère bien indispensable pour déchiffrer les plaques armoriées. Le décryptage des sources d’inspiration propre à telle ou telle plaque décorée suppose, de manière générale, le recours à une pluralité de disciplines allant de la numismatique et du médailler à l’hagiographie en passant par la généalogie, les arts appliqués et l’archéologie. Nous avons fait appel aux différents modes de graphie, aux évolutions orthographiques et même à certaines formes dialectales pour rendre compte de plusieurs plaques à devise. Il est bien évident qu’il convient souvent d’en référer à la géographie si l’on veut situer les parcours des convois muletiers ou préciser les localités précisées sur de nombreuses plaques à devise. Il en va de même des lieux ont les différentes plaques ont été recueillies ou collectées. On prendra seulement deux exemples que nous n’avons fait que suggérer dans notre ouvrage :

Exemple hagiographique

La représentation de saint-Antoine pose un double problème quant à l’identité de ce saint et à la provenance des plaques le représentant :

  1- S’agit-il de saint-Antoine l’égyptien ou de saint-Antoine de Padoue ? On a vu que César Filhol prétendait qu’il s’agissait de saint-Antoine de Padoue essentiellement au motif de la représentation traditionnelle représentant le saint portant l’Enfant-Jésus dans ses bras tandis que  « saint-Antoine l’égyptien » (ou « saint-Antoine du désert ») est souvent accosté d’un cochon. 
  2- La provenance de cette plaque retient notre attention. Roger Verdier opte pour une origine savoyarde avec un point d’interrogation tandis que César Filhol la qualifie de « pyrénéenne » au motif qu’elle fut acquise en 1884 à Amélie-les-Bains (Pyrénées Orientales). On ajoutera que les reliques de saint Antoine l'Égyptien ont été ramenées de Terre Sainte par un seigneur du Dauphiné et qu’elles sont déposées à Saint-Antoine-l’Abbaye (Isère), ce qui conforterait l’avis de Van Gennep attribuant au Dauphiné (en dépit du fait que les mulets soient, en Savoie, sous la protection de saint Antoine) l’usage de sujets religieux.

On confrontera les deux « lunes » représentant saint-Antoine de Padoue que nous avons présentées à cette plaque (qui n’est pas « muletière ») sur laquelle le personnage figurant saint-Antoine l’égyptien (également dit saint-Antoine l’Abbaye) avec son cochon a été riveté.

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Représentation de Saint-Antoine de Padoue (collection Claude RICHARD)

Exemple généalogique

Les plaques à inscription nominative nous invitent à faire intervenir la généalogie. A ce sujet, on prendra l’exemple de trois plaques savoyardes portant, respectivement, les inscriptions : « Vive duc vidam » ; « Duc de Granier » et Duc Barthélemy de Granier 1872). Selon César Filhol, la première inscription pourrait désigner un double nom patronymique. On retiendra cette explication, encore que le terme « vidam (‘e’)» peut également renvoyer à une profession (cf. officier au service d’un évêque). Quant à la troisième inscription (portée sur une plaque rapportée de Savoie par M. et Mme Moret), elle pourrait éclairer le patronyme de la seconde s’il est vrai qu’on recense, au village de Granier (Savoie) un Barthélemy Duc né en 1767 et décédé en 1828.

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Plaque Savoyarde (Collection Madeleine MORET)

Régions où les plaques muletières sont présentes

La présence de plaques muletières dans plusieurs régions françaises et étrangères suscite un certain nombre de remarques et de questionnements :

  1- Les plaques dites « cévenoles » sont mieux connues que les autres s’il est vrai que les différentes études citées lui font la part belle. 
  2- Ces dernières années, de nombreuses « plaques savoyardes » ont été proposées lors de différentes ventes aux enchères. On en déduira que l’on connaît encore assez mal les détenteurs de « lunes » provenant de cette région mais qu’il reste beaucoup de grain à moudre au fur et à mesure de la découverte de plaques provenant de cette région.
  3- Nous disposons d’un nombre excessivement limité de plaques dites « pyrénéennes » (ou « catalanes »).
  4- Nos connaissances trop « hexagonales » ne nous ont pas permis d’apporter des éclaircissements sur les plaques provenant de la Catalogne espagnole ou de la Ligurie italienne, région où l’usage de plaques muletières est avéré. A ce sujet, on confrontera la plaque (provenant de Ligurie) donnée en 1884 au Musée de Genève par Hippolyte Jean Gosse (que nous avons présentée dans notre ouvrage) avec une plaque figurant dans la collection du Musée Pyrénéen de Lourdes.

Le nombre relativement important de « plaques » nommément localisées au Puy a permis à plusieurs auteurs de mettre en lumière plusieurs traits distinctifs propres aux « lunes » exécutées dans ce centre de fabrication. D’autre part, les nombreuses plaques savoyardes mentionnant une localité permettent non seulement de dégager leurs invariants décoratifs mais encore de les situer géographiquement. En revanche, les caractères relevés sur les rares plaques pyrénéennes que nous connaissons ne permettent pas d’affirmer qu’ils sont spécifiques à la production de cette région. Ainsi, la représentation apparemment fréquente de saint-Eloi se retrouve sur les plaques cévenoles et pyrénéennes (voir plus loin). Par ailleurs, le seul indice susceptible de localiser ces plaques (avec beaucoup de réserve) est leur lieu de collecte. Enfin, si différentes inscriptions permettent de recenser, dans le Massif Central, plusieurs centres de fabrication des plaques muletières, nous n’avons trouvé aucune information relative aux ateliers où furent exécutées des plaques savoyardes ou pyrénéennes. Il est d’ailleurs étonnant de constater qu’aucune narration relative à la fabrication de plaques muletières au Puy (centre si souvent mentionné sur les « lunes ») ne nous soit parvenue. A ce sujet, on ne reprochera certainement pas à Auguste Aymard de n’avoir pas cherché à entrer en contact, en 1865-1866 (époque à laquelle il s’intéressait déjà aux plaques muletières) de n’être pas entré en contact avec les artisans les plus âgés qui, quelques décennies plus tôt, s’adonnaient à la fabrication des « lunes » dans sa bonne ville ponote.

Bibliographie et iconographie des plaques muletières

Nous avons essayé de donner la bibliographie la plus complète sur un sujet qui n’avait fait l’objet d’aucune étude d’ampleur depuis la série d’articles, déjà très anciens, de César Filhol. Toutefois, nous regrettons de n’avoir pu consulter les archives de César Filhol à la Bibliothèque d’Annonay, l’article d’Antoine Temple Les plaques muletières de la Société Archéologique de Montpellier(1969) et surtout les précieux documents laissées par Maurice Gennevaux à la Société Archéologique de Montpellier. Nous n’avons même pas été autorisé à prendre connaissance du Compte-rendu des travaux de la Société Archéologique de Montpellier 1932-1950 (1958), ouvrage que nous avons récemment découvert (voir plus loin) mais qui nous a laissé sur notre faim en matière de plaques muletières. Quant à l’iconographie, nous avons inventorié et le plus souvent présenté la plupart des documents successivement mentionnés par différents écrivains en indiquant (comme nous nous plaisons à le faire) à quel auteur on devait la primeur de telle ou telle référence. Voir in « Colporteurs et marchands savoyards » un ex-voto représentant des muletiers ainsi que plusieurs mulets (qui paraissent dépourvus de plaques muletières).

Les collecteurs et collectionneurs de plaques muletières

Envisageant, dans un premier temps, les anciens collectionneurs de plaques muletières, nous avons consacré un petit chapitre à chacune des 7 personnalités qui manifestèrent un vif intérêt pour le sujet. On citera successivement, entre 1865 et 1918 : 1) Auguste Aymard. 2) La famille Vallentin. 3) Le Dr Charvet. 4) Arthur de Cazenove. 5) Maurice Gennevaux. 6) Paul Jouvin. 7) César Filhol. Nous avons établi qu’Auguste Aymard fut, en 1865-1866, le premier à souligner l’intérêt de cette pièce de harnachement qui n’avait pas encore attiré l’attention des érudits. Il est, bien entendu, infiniment plus difficile de traiter des collectionneurs contemporains qui sont légion. Toutefois, on connaît bien la collection René Richard grâce au remarquable article Au temps des plaques muletières publié en 1995 par le collectionneur avec la collaboration de Roger Verdier. En fonction de nos connaissances, nous avons donné -à commencer par l’esthète JFG- une liste de collectionneurs contemporains dont la plupart des amateurs de plaques muletières constateront, chacun de son côté, qu’elle est bien incomplète.

Des « phalères » et des « lunes »

Nous avons abordé de l’antique notion de « phalères » qui suscita un vif intérêt de la part des premiers amateurs de plaques muletières. Toutefois, ces derniers abandonnèrent l’emploi de ce terme pour parler de « disque de cuivre », de « lunette », de « plaque de mulet », de « lune », voire, selon Arthur de Cazenove, de « clute » (dérivé du verbe « clutar » signifiant fermer en patois provençal) et de « lunas » (en patois cévenol) ou tout simplement de « disque ». Aucune de ces dénominations n’est exempte de critiques même si nous avons justifié -à partir d’une série d’arguments et pour une certaine zone géographique- l’emploi du terme « lune ». D’autre part, le formule plus généraliste (dans la mesure où elle dépasse le cadre cévenol) de « plaque muletière » a l’inconvénient -en désignant un objet présentant une surface plane de peu d’épaisseur- de s’appliquer davantage aux planches à dentelle que l’on qualifie ordinairement, en considérant sa fonction, de « plioir à dentelle ». Comme rien n’est simple en matière d’art populaire, nous avons montré, à partir de la présentation de deux plaques muletières hautement du Musée Dauphinois, que l’argument selon lequel les phalères -à la différence des plaques muletières- représentaient des scènes équestres et des courses de chevaux n’était pas toujours décisif

Diversité du statut du muletier

Nous aurons l’occasion de montrer que la nature de la plaque muletière n’est pas indifférente au statut social du muletier. Or, celui-ci est très divers. Ainsi, la distinction entre « muletiers », « voituriers », « rouliers », « charretiers », « marchands » ou « paysans transporteurs » n’est pas toujours clairement établie. Dans le site internet, Les muletiers (11 février 2011), Marcel Eyraud a relevé, à partir des mentions figurant sur les registres de catholicité et d’état-civil ainsi que sur les rôles de capitation des Estables, un certain nombre de dénominations qui attestent de la diversité du métier de muletier : « maître-voiturier » ; « voiturier » ; « marchand-voiturier » ; « laboureur-muletier » ; « voiturier-revendeur ». On ajoutera les notions de « barilleur », transporteur des « vins du Vivarais » et la fonction de « messager » que René Richard assimile, à celle de « rafardier ». Surtout, le dépouillement des archives médiévales a permis à Franck Brechon d’approfondir la distinction entre le « rafardier » qui conduisait une « couble » comportant moins de 6 mulets et le « saumadier » qui dirigeait des « coubles » plus importantes. Marcel Eyraud reprend cette importante distinction tout en considérant trois types d’activité : le « paysan-muletier » qui meublait les temps morts par une activité d’appoint et que l’on pourrait rapprocher du « rafardier » ; le « muletier à part entière », c’est-à-dire le « saumadier » considéré comme un véritable professionnel et le « marchand-muletier ».

Fonctions des plaques muletières

Dans la rubrique du Mucem Plaques muletières Fiche Objet Catalogue des collections (s. d.), les auteurs assignent plusieurs fonctions aux plaques muletières :

  1- Elles « étaient toujours rattachées au frontal par une charnière qui permettait un mouvement de la plaque ainsi que des jeux de lumière ». 
  2- Elles « contribuaient aussi à l’ornementation ». 
  3- Elles « permettaient avant tout de marquer les brides elles -mêmes afin qu’elles ne puissent être échangées ». 
  4- Elles « constituaient aussi des supports privilégiés à la personnalisation et à la distinction de personnages ou de convois ». Pour cette raison, elles n’étaient jamais vendues avec le harnachement.

Tout en souscrivant à ces propos, on doit ajouter d’autres fonctions dévolues aux plaques muletières :

  5- Elles permettaient, tout en flattant l’orgueil du muletier, de protéger les mulets des éblouissements du soleil parfois meurtriers lorsque le convoi empruntait des chemins escarpés.
  6- Elles jouaient, ainsi que le rappelle César Filhol, le rôle prophylactique de « pare-mouches ».



Du laiton et du cuivre

On lit sur « internet », dans l’extrait d’un article, Le 5e livre de Georges Dubouchet parle des plaques muletières : « Les plaques muletières sont des objets ronds en cuivre ou en laiton ». Nous n’avons jamais écrit cela. Bien au contraire, nous avons reproché à plusieurs spécialistes de l’outil d’avoir entretenu cette erreur. Nous avons toujours affirmé que les plaques muletières étaient en laiton. L’existence(toujours possible en matière d’art populaire) de plaques en cuivre, voire en étain, ne pouvant être considérée comme des exceptions (fortuites ou extravagantes) qui confirment la règle. Ainsi, nous avions demandé à Daniel Travier d’observer attentivement, au Musée de Maison Rouge, les deux « plaques » qu’il pensait être en cuivre. A la suite de cet examen, Daniel Travier confirmait notre hypothèse : « A regarder de plus près, les deux plaques que l'on pensait de cuivre en fait sont de laiton avec une belle patine chocolat qui est à l'origine de la confusion ». La différence est d’importance s’il est vrai que le cuivre est un minerai tandis que le laiton est un alliage (de cuivre et de zinc). Toutefois, il faut admettre que l’ancienne et malheureuse formule de « cuivre jaune » pour désigner le laiton a pu entretenir la confusion. Toujours est-il que les qualités du laiton ne manquèrent pas de faire de cet alliage le matériau privilégié pour l’exécution des plaques muletières dans la mesure où son usinage est facile, sa résistance plus affirmée que celle du cuivre pur tandis que sa belle couleur dorée qui resplendissait au soleil ne pouvait que plaire aux muletiers. Nous avons par ailleurs montré, avec Mme Michèle Bois, qu’une analyse chimique ou spectroscopique des plaques muletières pouvait jouer le rôle d’indices quant à la localisation de spécimens fabriqués dans telle ou telle région. Par ailleurs, le poids et le traitement du laiton utilisé sont susceptibles de distinguer les « plaques » laminées et gravées par des ouvriers professionnels et celles exécutées par des artisans du terroir, voire de simples paysans.

Provenance des plaques muletières

Dans l’attente d’études complémentaires et à l’instar des auteurs qui se sont succédé, nous considérerons trois régions, à savoir les Pyrénées (françaises et espagnoles), les Alpes (Dauphiné et Savoie) et le Massif Central et dont les accidents du relief se prêtaient à l’utilisation d’animaux aussi résistants qu’étaient les mulets. Par ailleurs, nous avons présenté d’autres plaques provenant de certaines régions italiennes comme la Ligurie ou le Piémont.

Plaques pyrénéennes

Selon César Filhol, les plaques pyrénéennes se présenteraient par groupe de 3 (plaque frontale et plaques latérales) et seraient de petites dimensions (environ 10 cm de diamètre). Ces observations sont contestables. En effet, nous verrons que la « cabeçada » du Musée Pyrénéen de Lourdes ne comporte qu’une plaque froçntale. D’autre part, si le diamètre de la plaque n° 15 de la collection René Richard est de 12,8 cm, les diamètres des plaques n° 6, 7 et 8 de cette même collection sont, respectivement, de 17, 18,8 et 17,2 centimètres. Considérant les (trop rares) spécimens sui generis dont nous disposons, on pourrait dire que les plaques pyrénéennes présentent souvent les caractéristiques suivantes : 1) cartouche trilobé ou quadrilobé à écoinçons. 2) Ecu couronné. 3) Monogramme du Christ. 4) Supports lions passants (cf. plaques n° 7 et 8 de la collection René Richard). 5) Décorations : fleurs de lis (cf. plaque n° 6 de la collection René Richard) ; « swastika » (cf. plaque du Dr Charvet). 6) Couronne pleine surmontant l’écu. 7) Représentation fréquente de saint-Eloi. Les plaques muletières dont nous connaissons l’origine géographique de manière suffisamment précise ont été situées dans le département des Pyrénées Orientales (St-Laurent de Cerdans ; Arles sur Tech ; Corsavy). On ajoutera, en reprenant ce qui a été dit précédemment et en l’absence d’analyses chimiques ou spectroscopiques, que les plaques pyrénéennes de la collection René Richard présentent une couleur foncée ainsi qu’un poids quelque peu supérieur qui pourraient laisser penser qu’elles contiennent un alliage de cuivre et de plomb ou d’étain.

Plaques dauphinoises et savoyardes

Les « plaques alpines » que l’on peut observer paraissent d’origine savoyarde davantage que dauphinoise. Ainsi, le Musée Dauphinois de Grenoble ne possède que quatre plaques muletières dont la seule portant une inscription nominative -« JEAN PIERRE DOIX PROPRIETAIRE ARAICHE 1811 » (n° 4)- concerne une localité savoyarde du Beaufortain. Les plaques armoriées dont le blason est chargé d’un dauphin peuvent être considérées comme dauphinoises : César Filhol (Planche III, n° 5) ; Musée du Vieux Nîmes (n° 13) et Musée Saint-Jean-du-Gard (n° 4 et 12). Les plaques savoyardes se résument souvent à une seule plaque frontale (comme le montrent les spécimens de la « collection Amoudruz » au Musée de Genève), parfois pourvues d’une douille pour recevoir le plumet et d’un diamètre de 13 à 17 cm. Elles furent exécutées jusqu’à une époque relativement récente puisque le Musée des vallées cévenoles présente une plaque frontale datée du début du XXe siècle : « REPUBLIQUE FRANCAISE / S MARTIN DE BELLE VIL ST MARCEL SAVOIE / MEILLEUR AUGUSTE / 1902 » (n° 59), Elles dont l’objet de différentes ornementations ainsi que d’inscriptions récurrentes : 1) Ostensoir. 2) Trophée de drapeaux et de canons. 3) Grenades. 4) Croix de Savoie. 5) Armes de la maison Sardaigne-Savoie. 6) Couronne royale. 7) Aigle impériale. 8) Inscription d’une ville. La référence fréquente à « ST MARTIN DE BELLEVILLE » permet à Roger Verdier de qualifier ces plaques de « communales ». 9) Inscriptions nominatives déclinant le patronyme et le lieu d’habitation du propriétaire ou du messager. 10) Ces inscriptions sont souvent gravées à la périphérie de la plaque. La présence d’autres ornements telle la Marianne est plus aléatoire. Van Gennep s’était efforcé, comme à son habitude mais avec des informations très fragmentaires, de recenser les localités savoyardes dans lesquelles la présence de plaques décorées était attestée. A la lumière des nombreux spécimens de plaques muletières récemment mises à jour, on pourra dresser une carte plus précise. Nous ne reprendrons pas l’ensemble des témoignages donnés par d’anciens auteurs qui indiquaient la présence de plaques muletières dans différentes régions. Retenons toutefois :

  • La vallée de Queyras
  • La vallée de l'Eau-d'Olle, en Oisans, qui communique avec la vallée du Glandon et la vallée d'Arve en Maurienne.
  • Les gorges de l’Arly, entre Ugine et Megève (au nord-ouest de Saint-Jean-de-Belleville).
  • Moûtiers, dans la vallée de la Tarentaise.

Nous citons également dans notre ouvrage, en considérant les inscriptions gravées sur les plaques que nous avons pu observer et les régions où la présence de plaques muletières est signalée, un certain nombre de villes dans les villes et départements suivants :

  1- Hautes-Alpes : vallée du Queyras.
  2- Savoie : citons, les villes de Saint-Jean-de-Maurienne, Saint-Martin-Belleville, Champagny en Vanoise, Les Allues, Les Avanchers, Moûtiers, Mâcot, Vulmix, Montvalezan, Peisey (aujourd’hui Peisey-Nancroix), Bourg-Saint-Maurice et jusqu’au Val d’Aoste italien. On ajoutera, au nord-ouest, Arêches dans le Beaufortain, le Val d’Arly  et Ugine.
  3- Haute-Savoie : Ollières ; Mégève.

Nous avons présenté un certain nombre de plaques savoyardes et, en particulier, plusieurs plaques qui mentionnent la même localité à l’exemple de Saint-Martin-de-Belleville (Vanoise) et que Roger Verdier classe parmi les « plaques municipales ». Citons également Avenchers (aujourd’hui Avenchers Valmorel) ; Champagny (aujourd’hui Champagny-en-Vanoise) ; Macot (aujourd’hui Mâcot-la-Plagne en Tarentaise) ; Vulmis (aujourd’hui Vulmix, Tarentaise) ; Montvalezan (Haute-Tarentaize), etc.

Les plaques dites « cévenoles »

Les articles d’Arthur de Cazenove, d’André Philippe et de Marius Balmelle circonscrivaient les plaques muletières au Gévaudan, au Rouergue, aux Cévennes et, avec César Filhol, sur les bords du Rhône. A une date plus récente, Martine Nougarède avait encore de bonnes raisons (en traitant des « plaques muletières » du Musée du Vieux Nîmes) et même si l’auteure consacre un paragraphe aux muletiers convoyeurs de sel depuis la mer jusque vers les montagnes, de considérer les Cévennes, le Vivarais, le Velay et le Gévaudan comme des régions privilégiant l’usage des plaques muletières. Pourtant, si la prise en compte de plusieurs facteurs montre le caractère géographiquement trop restrictif de la formule « plaques cévenoles » :

  1- La ville du Puy, centre supposé « girateur » de la fabrication des plaques muletières, n’a jamais été cévenole. 
  2- Les convois muletiers  parcouraient souvent de longues distances qui les amenaient à « rouler leurs lunes » sur des terres bien éloignées des Cévennes ou du Velay. 
  3- L’origine des muletiers dépasse de beaucoup les seules Cévennes. 
  4- De nombreuses « lunes » ont été trouvées dans d’autres régions. Voir notre ouvrage dans lequel nous mentionnons des plaques muletières trouvées dans l’Aveyron, le Gard, l’Hérault, la Drôme, le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône.
  5- Une étude reste à faire sur l’origine géographique des muletiers mais les informations dont nous disposons montrent que nombre d’entre eux étaient originaires du Languedoc.
  6- On peut formuler l’hypothèse que d’autres centres de fabrication des plaques muletières -fussent-ils modestes-  devaient exister en dehors des quelques ateliers généralement cités.

Ces remarques nous invitent donc à étendre le « territoire » de nos fameuses « lunes ». En appelant l’ancienne géographie en renfort, nous substituerons la notion de « plaques languedociennes » à celle de « plaques cévenoles ». En conséquence, considérant les Cévennes que l’on pourrait circonscrire de Mende au nord-ouest de la région à Sauves (pour prendre une ville mentionnée sur une « lune » qui se trouvait, selon Daniel Travier, au château du Solier en Lozère) au sud-est de cette zone géographique et la plus grande partie de l’ancienne région du Languedoc (du Puy à l’extrême nord à Béziers au sud-est et à Toulouse au sud-ouest), nous substituerons la notion de « plaques languedociennes » à celle des « plaques cévenoles ». Toutefois, nous verrons que ces propos ne semblent pas remettre en question deux observations : 1- La prédominance des exemplaires d’origine cévenole. 2- Le rôle du Puy (même si le Velay est situé à l’extrême nord de l’ancien Languedoc) en tant que centre majeur de la fabrication de plaques muletières et de la Tour de Pannesac au Puy, considérée comme un des carrefours privilégiés du trafic muletier. Considérant la Catalogne (espagnole et française), la plus grande partie du Languedoc ainsi que le Dauphiné et la Savoie, on pourrait -en l’absence d’études plus précises sur les plus anciennes plaques muletières dans les Alpes françaises et italiennes- oser l’hypothèse qu’à partir (peut-être) de la fin du Moyen Age et jusqu’au XVIIIe siècle (ou avant), l’usage des plaques muletières n’a cessé de remonter du sud au nord.

Classification des plaques muletières

On peut considérer trois sortes de plaques muletières : 1- Les plaques muletières armoriées 2- Les plaques muletières à décorations diverses 3- Les plaques muletières à devise. Les plaques muletières armoriées présentent trois sortes d’armoiries que la « science des blasons » pourrait distinguer : 1) Armes de France, de Savoie, de Dauphiné, etc. 2) Les blasons appartenant à des familles dûment répertoriées dans les « armoriaux ». 3) Les blasons à connotation « entreprenariale » (si l’on peut dire) qui trouvent une relative légitimité dans le fait qu’ils furent « concoctés » par des familles enrichies dans le négoce du vin et disposant d’un corps important de muletiers. 4) Les blasons de pure fantaisie dont, sans doute, l’élaboration résulte du choix du muletier et des « modèles » dont dispose le fabricant. Les plaques présentant des décorations diverses peuvent être confrontées à certains modèles héraldiques tout en offrant un intéressant champ d’investigation relatif aux éventuelles et nombreuses sources d’inspiration. Dans notre ouvrage, nous n’avons pas suffisamment souligné le fait que les plaques muletières à devise étaient essentiellement celles dites « cévenoles ».

Plaques armoriées et plaques à décors divers

De manière générale, on pourrait se demander si le port des plaques muletières ne fut pas d’abord réservé à l’élite des muletiers dans la mesure où, d’une part, elles pouvaient être facilement remplacées par des œillères en cuir qui pourraient jouer le même rôle protecteur tandis que, d’autre part, sur d’anciennes représentations iconographiques, on observe de tels éléments d’apparat sur des mulets dont les propriétaires, relevant de couches sociales diverses, ne participaient pas du trafic muletier proprement dit. D’un point de vue technique, les plus belles « lunes » -à décor la fois repoussé et gravé- sont armoriées ou présentent des décorations diverses. Elles ont été exécutées par des ouvriers professionnels à l’intention des muletiers les plus fortunés.

Les plaques armoriées

Au plan de la description des « lunes armoriées », le recours à la science des blasons, pour nécessaire qu’il soit, ne dispense nullement d’un descriptif original susceptible de rendre le plus fidèlement compte de cet « art appliqué », genre modeste mais à part entière, qu’est celui de la plaque muletière. En effet, la représentation des couleurs n’est pas apparente sur les armoiries présentes dans les métaux et alliages propres aux monnaies, sur la pierre ou le bois et sur le laiton des plaques muletières. Cette difficulté a conduit le graveur de plaques muletières a s’inspirer des « codes » précédemment utilisés dans les différentes représentations monochromes des blasons. Des remarques très importantes qui invitent les spécialistes des plaques muletières à procéder à une sorte de « décodage » ont été formulées par Mme Michèle Bois à ce sujet : « Les plaques armoriées du XVIIIe siècle suivent les codes héraldiques destinés à représenter les couleurs (métaux et émaux) par des pointillés ou des rayures, et figurent souvent des écus ovales avec leurs supports ». En conséquence, le concours d’un héraldiste s’impose dans la mesure où la connaissance des différents systèmes de représentation des couleurs (pointillés, hachures, hachures en barre, hachures en bande, etc.) s’avère nécessaire si l’on veut identifier les émaux censés figurer sur tel ou tel blason reproduit sur une plaque muletière et distinguer les représentations significatives de celles qui ne présentent qu’un aspect décoratif.

Les plaques à décors divers

Les anciens auteurs ont affiché un tel intérêt à la science des blasons qu’ils ont minimisé l’importance des plaques à décors divers. Pourtant, ces « plaques », souvent très originales, conjuguent parfois la qualité d’exécution et la diversité des sources d’inspiration dont participent, tout naturellement, les figures héraldiques. De fait, par un processus de contamination, différentes figures héraldiques (comme l’« aigle aux ailes éployées », l’« aigle bicéphale », la « merlette », le « coq », les différentes variantes de « la croix », les « hommes sauvages », la « sirène », « l’arche à flots », etc.) peuvent figurer indivises en quelque sorte et, de ce fait, échapper à la science des blasons. Sans reprendre les analyses développées dans notre ouvrage, on citera différentes thématiques propres à ce genre de plaques muletières :

  • Le « soleil d’or ».
  • Les « représentations de saints ».
  • Les « symboles religieux » (« croix diverses » ; « clous de la passion » ; « quatre angelots » mis en adoration », etc. ;
  • Les « représentations anthropomorphes ».
  • Les « représentations zoomorphes ».
  • Les « motifs végétaux ».
  • Les « êtres fabuleux ».
  • Les « animaux diaboliques ou fantastiques ».

D’autres thèmes pourraient être relevés à l’exemple de la représentation d’une scène « cynégétique » (Collection de Cazenove, n° 37) ou de la figuration d’un « muletier » : (Planche IX, n° 2 in César Filhol) ; (Collection Cazenove (n° 8) et (vente Artcurial, 2004, n° 157).

Les plaques à devise

Nous avions minoré l’intérêt des plaques à devise en raison de la répétitivité des inscriptions. Ainsi, nous avons répertorié près de soixante « plaques » portant la devise « CONTENTEMENT PASSE RICHESSE … » et autant (à quelques unités près) avec l’inscription « J’AIME LE LIS J’AIME LA ROSE … ». D’autre part, les inscriptions relevées par plusieurs auteurs tendaient à confirmer le caractère assez banal (et le plus souvent « vineux) des légendes inscrites sur les plaques muletières. Une étude plus approfondie des plaques muletières nous a conduit à changer d’avis et cela d’autant plus que les devises précitées jouent le rôle d’incipit auquel s’ajoute une formule secondaire qui diffère souvent d’une plaque à l’autre. Par ailleurs, des plaques apparemment identiques peuvent présenter de petites variantes, d’ordre esthétique ou orthographique, qui les singularisent. Les plaques à devise, d’ordinaire plus tardives que les autres (à l’exception des « vivats royaux »), révèlent un caractère résolument populaire puisqu’elles illustrent un processus qui nous est cher, à savoir que le peuple s’inspire en permanence des modèles des classes supposées supérieures tout en les adaptant à sa manière propre. Il est d’ailleurs singulier de constater que ces plaques qui nécessitent un savoir-faire moindre de la part de l’ouvrier graveur sont celles qui, aujourd’hui, suscitent (à l’exception des plaques armoriées qui attirent toujours l’attention de l’héraldiste) un maximum d’intérêt et de curiosité. Ces « lunes » rendent compte du prestige -si longtemps entretenu- de la formule « plaques cévenoles ». En effet, c’est bien le centre du Puy et d’autres ateliers de proximité (en Ardèche, Lozère et Cantal) qui paraissent avoir eu le quasi monopole de l’exécution de telles plaques. Tout se passe comme si, une nouvelle fois (avec les plioirs à dentelle), le Velay justifiait son ancienne renommée de « temple de l’art populaire » ! L’examen d’un grand nombre de « plaques à devise » montre que les inscriptions -bien loin de se limiter aux formules récurrentes citées par nombre de spécialistes- révèlent une grande diversité. Reprenons, en donnant un seul exemple pour chacun d’entre eux et à l’exception des vivats royaux, la plupart des nombreux thèmes cités dans notre ouvrage qui, déclinant montrent toute la diversité des inscriptions présentes sur les plaques muletières, montrent que l’on a eu raison de privilégier des plaques qui témoignent bien, en fin de compte, d’une expression de l’art populaire. Indiquons seulement au sujet du caractère apparemment fantaisiste de la graphie ou des particularismes orthographiques propres à certaines inscriptions qu’ils peuvent donner lieu à plusieurs interprétations. Les différences orthographiques peuvent donner lieu à plusieurs interprétations liées :

  1- A l’absence de calcul dans la mise en place de la devise (cf.  « « CONTENTEMENT PASSE RICHESSE VIVE LAMOUR SANS TRISTESSE », ce dernier terme étant inscrit généralement « TRISTES », parfois « TRISTESSE » et dans des cas exceptionnels « TRIST »). 
  2- A des défaillances orthographiques : « IAIME SON NOM » et « IAIME SON NON ».
  3- A certains usages. Ainsi « SOUVANT » est également écrit « SOUVENT » et parfois « SOUVEN » tandis que « CONTENTEMENT » est d’ordinaire écrit « CONTENTEMANT » comme en témoignent les cinq plaques sur six de la collection Vallentin portant la devise en question.


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                 Plaques muletières de la collection Vallentin

Retenons surtout les explications données par Mme Michèle Bois au sujet des plaques n° 35 et 59 de la collection Vallentin (« A.LES./.VIVES/EN.PES./FAI A SAIN/FLOUR » et « BACUT/ AIME/ LEBON/ VIN ») : la première a été « probablement rédigée en occitan » tandis que l’orthographe de l’autre exige qu’on la prononce « à voix haute pour l’entendre correctement ».

Essai de classification des « plaques à devise » :

* « plaques à devises récurrentes » : « CONTENTEMENT PASSE RICHESSE … » et « J’AIME LE LIS … »  (présentes, comme on l’a dit, dans de nombreuses collections) ; « J’AIME MARION » (devise souvent citée mais de manière moins récurrente que les deux précédentes).
  • « plaques philosophiques » : « L’AMOUR FAIT PASSER LE TEMPS LE TEMPS FAIT PASSER L’AMOUR » (Musée Crozatier, n° 1369 in Roger Gounot).
  • « plaques amoureuses » : « CONTENTEMANT PASSe RICHESSE W IE EAN BARIAL ET SA METRESE QVI SAIMERONT SANS SESE 1747 » (Musée Crozatier, n° 1399 in Roger Gounot).
  • « plaques galantes » : « EN DEPIS / DE LA IALO/VZIE LS ME / RE S LO QUI l /maimera.Vi/ ve lamovr/ au Pvy» ; « En depis / de la IALO / VSIE JAIme / rai tovte./ MAVIE.CELLe … » (n° 56 et 57, collection Vallentin ).
  • « plaques égrillardes » : « J’AIME SURTOUT VOIR MA LISE SANS ROBE NI CHEMISE 1751 » (Musée Languedocien).
  • « plaques mentionnant la maîtresse » : « WIE JEAN BARIAL ET SA METRESSE QUI S’AIMERONT SANS SES 1747 » (Musée Crozatier, n° 1399 in Roger Gounot).
  • « plaques célébrant la joie » : « JE SVIS CONTANT COMME LE ROYLORSQUE JE BOIS VIVE LA JOYIE 1783 » (Musée Crozatier, n° 1400 in Roger Gounot).
  • « plaques épicuriennes », « A CELUY QUI A BON APPETIT IL NE FAUT POINT DE SAUCE NI MOUTARDE » (Musée des vallées cévenoles, n° 45).
  • « plaques hédonistes » : « FEMME JOLIE ET DU BON VIN VOILA LE VRAI BIEN DE CE MONDE » (Musée Paul Dupuy de Toulouse, n° 3).
  • « plaques qui marquent une méfiance pour le vin » : « DANS LE VIN ON DIT LA VERITE QUI BOIT TROP RISQUE DES’ENIVRER 1778 » (Collection privée).
« plaques célébrant l’amitié   : « UN  BON / AMI  VAVT  /  MIEUX  QUE  /  CENT  /  PARENTS  /  W  LES BONS / ENFANTS  /  1780 » (Musée des vallées cévenoles,n° 35).
  • « plaques « moralistes » : «VIVE L’HOMME DE PROBITE VIVE LA LIBERTE » (Musée Crozatier, n° 1367 in Roger Gounot).
  • « plaques clamant la privauté du libre-arbitre » : « C’EST A MON GOU QUE JE LE FAIS 1769 » (Folk-collection).
  • « plaques misogynes » LA FEMME A LES LEVRES DE MIEL ON NEN A GOUTE QU’IL VIENT PLUS AMER QUE » (Musée Crozatier, n° 1382 in Roger Gounot)
  • « plaques humoristiques » : « JE PORTE MON CŒUR A LA MAIN CAR DE LAUTR JE BOIS » (Collection Cazenove, n° 17).
  • « plaques existentielles » « L’ETE ON PREND LE FRET APRES QU’ON A SOUPE 1808 » (citée par César Filhol).
  • « plaques à légende proverbiale » : « JE SVIS CONTENT COMME LE ROY VIVE LA IOYE LHOPITAL BRVLE 1782 » (Collection Vallentin, n° 36).
  • « plaques à devise à double sens » : (« FAUTE / D’UN POINT / MARTIN . EN / JOUANT / PERDIT /SON .ANE/ 1789 » (collection Vallentin, n° 56).
  • « plaques humoristiques » (dans le genre « humour noir ») : « BIENHEUREUX CELUI QUI EST ASSURE D’ETRE PANDU CAR IL N’A PAS PEUR D’ETRE NOYE 1758 ») (Musée de Mende).
  • « plaques religieuses » (le plus souvent associées à la représentation d’un saint ou de la Vierge).
  • « plaques protestantes ».
  • « plaques royalistes faisant apparaître la notion de loi » : « VIVE LA NATION LA LOY ET LE ROY EN DEPIT DE L’ARISTOCRATI » (Collection René Richard, n° 33).
  • « plaques suggérant une monarchie parlementaire » : « VIVE LE ROI VIVE NEKER 1789 » (Musée Crozatier, n° 1366 in Roger Gounot).
  • « plaques à connotation républicaine » : Le terme « ROY » a été effacé sur la plaque « VIVE LA NATION LA LOY ET LE ROY EN DEPIT DE LARISTOCRATI » (Collection René Richard, n° 33).
  • « plaques républicaines » : « J’AIME LA REPUBLIQUE » (citée par Paul Duchein).
  • « plaques impériales » : « VIVE L’EMPEREUR 1806 » (Musée Paul-Dupuy Toulouse, n° 18).
  • « plaques politiques » : « QUIL Y A EUT DU TROUBLE EN FRANCE L’ANNEE 1789 » (Musée Crozatier, n° 1364 in Roger Gounot).
  • « plaques dont la devise se résume à un « vivat » accompagné d’un seul prénom » : « VIVE JEAN PIERRE BON ENFANT » (Musée Crozatier).
  • « plaques portant seulement des initiales » : « MALGRE LA JALOUSIE J’AIMERAI TOUTE MA VIE CELLE QUI M’AIMERA VIVE LE ROI DE FRANCE CR 1739 » (Musée Languedocien).
  • « plaques patronymées » : « J’APARTIENS A LOUIS RICAR E MARIE REBOUL » (Collection René Richard, n° 12).
  • « plaques localisées et datées » : « SOLIGNAC AN 7 » Musée Paul Dupuy Toulouse).
  • « plaques patronymées et localisées » « CONTENTEMENT PASSE RICHESSE VIVE FRANCOIS RAVEL DE BARREME ET ANNE SA MAITRESSE » (citée par pierre Colomb).
  • « plaques patronymées et datées » : « 1734 VIVE JOSEPH BOVRRE BONT ANFANT » (Musée Crozatier, n° 1371 in Roger Gounot).
  • « plaques patronymées et localisées » : « JEAN JACQUES MARTIN DE VULMIS » (citée par César Filhol).
  • « plaques patronymées, datées et localisées » : « VIVE PINEDE AV PUY 1760 » (Musée Crozatier, n° 1394 in Roger Gounot).
  • « plaques patronymées, localisées et professionnalisées » : « CONTENTEMANT PASSE RICHESSE VIVE DUFOUR ET SON EPOUSE MESSAGER DE SAUVES EN LANGUEDOC » (Collection René Richard, n° 1).
  • « plaques patronymées, datées, localisées et personnalisées » : « E / FEANAN / TOINE CHA / BON BOUFEUR / DE. VILLE FOR / BONENFAN / T QUI PAYE / 1805 » (Museon Arlaten, n° 8).
  • « plaques précisant le lieu de fabrication » : « VIVE LA LOI LE ROI ET LA NATION AU PUY 1791 » (Collection Cazenove, élément de bridel, n° 43).
  • « plaques précisant le lieu de fabrication et le patronyme du fabricant » : « VIVE LES BONS ENFANTS QUI BOIVENT DU BON VIN SOUVENT FAIT A MENDE CHEZ BOUNIOL » (Musée Languedocien).
  • « plaques précisant seulement le patronyme du fabricant » : « DAIMAIS PERE » (Collection Jouvin, plaque frontale du bridel n° 7, citée par César Filhol).
  • « plaques portant les initiales du fabricant » : Saint-Pierre agenouillée avec le coq à dextre et les clefs et le livre à senestre. Majuscules « ST P. » ((Musée Crozatier, n° 1363 in Roger Gounot) ; Vierge noire du Puy avec inscription circulaire : « NOTRE DAME DU PUY F. T. R. » (Musée Crozatier, n° 1374 in Roger Gounot) ; « St FLOVR IB » (Musée Crozatier, n° 1380 in Roger Gounot) ; « VIVE JB FOUILLOUX BON ENFANT QUI PAIE A BOIRE SOUVENT FAIT AU PUY F. T. 1826 » (Collection Paul Jouvin, plaque frontale, bridel n° 2, citée par César Filhol) ; « MALGRE LA JALOUSIE J’AIMERAI TOUTE MA VIE CELLE QUI M’AIMERA VIVE LE ROI DE FRANCE CR 1739 » (Musée Languedocien).

Plaques détournées et fausses plaques

Nous renvoyons le lecteur aux chapitres que nous avons rédigés à propos de ces deux sujets. Notons que de nombreux critères permettent de détecter les fausses plaques : 1) L’épaisseur inhabituelle et le manque de rigidité de la »plaque ». 2) La maladresse d’exécution et la fantaisie de certaines inscriptions. 3) L’absence ou le positionnement inhabituel des trous de fixation qui permettent de passer les petites courroies qui relient la plaque à la bride.

Les ateliers de fabrication des plaques muletières

Dans l’attente de réelles informations relatives aux ateliers pyrénéens et savoyards, nous avons limité nos propos aux plaques dites cévenoles. Au demeurant, le silence des archives nous conduit à circonscrire nos remarques aux informations délivrées par un certain nombre de « lunes ». Ainsi, on constate que Le Puy est très souvent mentionné tandis que 4 autres villes font l’objet de citations : Annonay (Ardèche) : 3 fois. Saint-Flour (Cantal) : 3 fois. Mende (Lozère) : 1 fois. Massiac (Cantal) : 1 fois. Sans doute, convient-il de ne pas accorder à ces remarques davantage d’intérêt qu’elles n’en ont. En effet, il est peu concevable que Mende n’ait pas produit davantage de plaques muletières que Massiac. De même, si l’on peut avoir une assez bonne idée de la fabrication ponote, le nombre très limité de « plaques » mentionnant quatre autres cités (Annonay, Saint-Flour, Mende et Massiac) ne permet que de formuler des hypothèses relatives aux éventuels ateliers présents dans ces villes. On peut penser, avec Roger Gounot, que l’exécution des belles plaques à décor repoussé était réalisée au Puy, ville qui a toujours disposé d’un important contingent d’orfèvres et de fondeurs émérites. Toutefois, le mieux-disant technique et même la qualité esthétique d’une plaque muletière ne sont pas vraiment révélateurs de cet « art brut » dont témoignent les ouvrages populaires les plus affirmés. Les ouvriers plus ou moins spécialisés dans la fabrication des plaques muletières appartenaient à différentes catégories d’artisans et disposaient d’outils plus ou moins adaptés à ce genre de travail. Ainsi, une « plaque » trop épaisse, trop mince ou trop souple peut révéler un travail exécuté par un ouvrier occasionnel ou peu spécialisé. Le Musée des vallées cévenoles présente deux plaques à devise « I’AIME MARION IAIME SON NON » (n° 32) de facture très différente ; la première comporte, dans le champ, les quatre angelots ailés traditionnels et la devise inscrite entre cinq frises perlées dans un quadrilatère ; la seconde se contente de la seule inscription « IAIME / MARION / IAIME SO / N NOM » (n° 67) seulement séparée par cinq lignes de points que termine une fleur de lis accostée de deux étoiles. Ajoutons qu’une troisième plaque reprend très exactement le protocole décoratif de la première avec l’inscription : « IAIMELE / ° LIS° IAIME / ° LAROSE ° IAI / MELHONEVR / SUR ° TOVTE ° / °CHOSES » (n° 34). Ces constatations pourraient confirmer les attributions de la première et de la troisième plaque à un atelier ponot et la deuxième à un atelier moins renommé. Néanmoins, on peut penser que plusieurs ateliers produisant des plaques muletières de qualité très différente coexistaient au Puy. A cet égard, la « lune » acquise par Mme Andrée Barthomeuf est plus instructive que d’autres plaques de meilleure facture s’il est vrai qu’elle montre que toutes les plaques fabriquées au puy n’étaient pas d’une grande qualité technique. En effet, il s’agit d’une assez grande plaque (18 cm) portant sur toute sa surface l’inscription malhabile en lettres pointillées : « JEAN VIDAL AU PUY 1771 », accompagnée d’une fleur de lis (également réalisée en pointillés) avec, au-dessous, la légende « LE ROY ». En conséquence, on peut attribuer l’exécution de cette plaque à un artisan peu spécialisé dans ce genre de travail.

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Plaque exécutée au Puy (Collection Andrée BARTHOMEUF)

La fabrication des plaques muletières

Voir dans notre ouvrage les remarques relatives aux fondeurs », « bridiers », « chaudronniers », « potiers d’étain », ouvriers itinérants ainsi qu’aux simples paysans qui ont pu exécuter des plaques muletières. Voir également les différentes techniques de fabrication (« gravure au burin » ; « repoussage » ; « estampage », etc.) et les différents outils utilisés (« emporte-pièces » ; « matrice » ; « poinçon », etc.).

Datation des plaques muletières

La date la plus ancienne relevée sur une plaque muletière pourrait être celle de la collection Paul Jouvin présentant un médaillon à écoinçons chargé d’une fleur de lis, surmonté d’une couronne pleine avec devise en périphérie « VIVE LA FLEUR DE LYS 1543 » (Planche VII, n° 5 in César Filhol). Plusieurs plaques sont également datées des années 1560. Roger Verdier assigne, aux plaques les plus anciennes (XVIe siècle) de la collection René Richard, une origine pyrénéenne. Il conviendrait de déterminer si les autres plaques, aussi anciennes mais relevant d’autres collections, ont la même origine. A l’exception des plaques à « vivat royal », les plaques à devise sont plus récentes. A notre connaissance, la première « plaque à devise proprement dite » est celle du Musée de Genève qui porte l’inscription « CONTANTEMANT PASSE RICHESSE », sommée d’une croix et datée 1670.

Le Musée Languedocien

Nous ne reprendrons pas ce qui a été dit, dans notre ouvrage, au sujet du Musée Languedocien de la « Société archéologique de Montpellier ». Rappelons simplement que, requérant des renseignements sur la collection de plaques muletières que possédait la « Société d’archéologie de Montpellier », César Filhol recevait, en février 1919, une fin de non-recevoir de la part de celle-ci qui, alléguant un « devoir d’association », désirait présenter elle-même un travail sur ces objets.

         Nous avons trouvé, tout récemment, auprès d’un bouquiniste, le Compte-rendu des travaux de la Société Archéologique de Montpellier pendant les années 1932-1950 (2e Série, tome XI, 1958). Force est de constater que les plaques muletières ne font l’objet (à la différence d’autres sujets comme les jetons, les monnaies,  poteries, les poteries ou les fers à gaufre)  d’aucune mention.

On relèvera, lors de la séance du 9 mai 1942, un éloge de la loi du 11 août 1941 relative à l’organisation des musées dont on a déjà montré qu’elle en disait long sur la prétendue politique des « musées paysans » du gouvernement en question.

Sur quelques plaques savoyardes non répertoriées

Plusieurs lecteurs nous ont adressé des photographies de plaques muletières qu’ils ont collectées. C’est le cas de J. Provot qui nous fait parvenir deux brides savoyardes à plaque frontale. Les inscriptions portées sur les plaques muletières de ces brides font référence à deux villes dont nous retrouvons les noms sur d’autres plaques citées dans notre ouvrage : Bellentre et Montvalezan. J. Provot précise : « j'ai remarqué par ailleurs dans les plaques savoyardes que la plupart des plaques datées après 1860 (rattachement de la Savoie à la France) portent des décors à la couronne impériale ou aux canons et drapeaux, donc des motifs patriotiques alors que précédemment, nous avons plutôt des motifs religieux ». Les versions de l’armorial de la Savoie sont nombreuses. Les plus anciennes paraissent représenter une aigle de sable aux ailes éployées ou une croix d’argent. Par ailleurs, au gré des annexions successives, les ducs de Savoie ajoutèrent différents quartiers à ces armes. D’autre part, les blasons des familles nobiliaires sont également à prendre en compte ainsi que, pour les plaques muletières postérieures à 1860, les armoriaux des communes de Savoie et de Haute-Savoie. Enfin, des plaques antérieures à 1860 comportent canons et drapeaux. Une nouvelle fois, il conviendrait, à partir des plaques savoyardes que nous pouvons observer, d’en référer à des spécialistes de l’héraldique

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                        Plaque savoyarde avec inscription : Jean Biolay de Bellentre 1832 (Collection J. Provot)
 

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   Plaque savoyarde avec inscription : Buthod Jean Michel de Montvalezan 1875 (Collection J. Provot)



Le 4 de chiffre

J. Provot s’interroge également sur la signification du 4 de chiffre évoqué dans notre ouvrage. Certains de nos lecteurs qui se passionnent pour l’œuvre de René Guénon pourront approfondir le symbolisme de ce chiffre qui, associé à la croix, est considérée comme l’expression du quaternaire. Nous avons constaté que, sur plusieurs plaques muletières, le chiffre 4 se combinait, dans sa partie inférieure, à d’autres lettres ou monogrammes. Des 5 hypothèses mentionnées par César Filhol, il convient de retenir celle qui assimile le quatre de chiffre à un « emblème symbolique du commerce laïque ». On peut penser, en effet, qu’il s’agit d’une « marque corporative » propre à certaines professions dont les monogrammes ou les signes occupant la partie inférieure peuvent être en relation symbolique avec le métier en question. Ainsi, on attribue souvent un cœur surmonté par le chiffre quatre au métier d’imprimeur. Notre informateur nous invite à relire l’ouvrage de Chantal & Gilbert Maistre & Georges Heitz Colporteurs et marchands savoyards dans l’Europe des XIIIe et XVIIIe siècles (1993) qui délivre plusieurs informations :

1- Cette marque est formée « d’un chiffre quatre, surmontant un cœur ou une ancre. La Barre verticale du 4 est allongée, en une sorte de hampe, parfois coupée d’une ou deux traverses horizontales. Des palmes, étoiles et d’autres motifs ornementaux personnalisent la marque, comme aussi les initiales des marchands ».

   2- La partie supérieure du chiffre 4 est toujours fermée et dessine un triangle qui évoque la Trinité ».
   3- La hampe à une barre représente la croix du Christ, la hampe à deux barres, la croix de Lorraine. 
  4- Le cœur et l’ancre qui se trouvent dans la partie inférieure de cette marque ne seraient pas représentatifs d’un métier mais symboliseraient respectivement l’amour et l’espérance.
  5- Le quatre de chiffre  est originaire des pays alémaniques.
  6- Il paraît avoir une signification religieuse et représenter un symbole marchand. 
  7- Il est le propre des riches marchands qui l’utilisent à la fois comme « sceau commercial » et comme « blason » gravé dans la pierre ou sur toutes sortes d’objets.

On peut observer que le quatre de chiffre ne figure sur aucune des 120 plaques du Musée Crozatier qui ont été, pour l’essentiel, collectées dans les départements de la Haute-Loire et de la Lozère. D’autre part, ce symbole n’apparaît pas sur les plus anciennes plaques (datées du XVIe siècle par Roger Verdier) provenant de la collection René Richard. A la lumière des remarques de Chantal et Gilbert Maistre et de Georges Heitz, on pourrait attribuer une origine savoyarde aux plaques précédemment décrites. Ainsi, la plaque n° 13 (non localisée par Roger Verdier) de cette collection (décor gravé et repoussé, deux anges soutenant un écu couronné présentant le monogramme de la Vierge AM en majuscules entrecroisées et du 4 de chiffre formant croix de Lorraine) n’est-elle pas savoyarde ? La prise en compte de la datation du XVIIe siècle ferait de cette plaque, dans ces hypothèses, un exemple des plus anciennes plaques savoyardes connues à ce jour.

Les 6 plaques et la « cabeçada » du Musée Pyrénéen de Lourdes Avec ses moyens propres et en fonction des connaissances apportées par ses prédécesseurs, chaque auteur s’évertue à apporter une contribution plus ou moins pertinente relative à tel ou tel sujet de prédilection. Nous n’avons pas dérogé à la règle tout en nous efforçant de recenser les différents musées présentant une collection (plus ou moins importante) de plaques muletières. Il est bien évident que les 15 musées mentionnés dans notre ouvrage ne constituent pas une liste définitive. Nous sommes persuadé que nos lecteurs auront à cœur de compléter ce panel. Nous avons contacté vainement de très nombreux musées mais M. Claude Richard nous a indiqué, avec le Musée Pyrénéen de Lourdes (le 16e dans notre répertoire), une piste plus fructueuse qui nous a permis d’entrer en contact avec le conservateur de ce musée Mme Agnès Mengelle, qui nous a adressé les photographies de 6 plaques muletières. Il s’agit, tout d’abord, de 4 frontaux de mulet qui sont entrés au musée en 1921. Ces frontaux sont répertoriés au n° 181 dans le catalogue Cinquante ans d’acquisitions au Musée Pyrénéen 1920-1970 publié à l’occasion de l’exposition de 1970. Ils figurent aux numéros 21.1.645 ; 21.1.646 : 21.1.647 et 21.1.648 avec l’indication suivante : « Quatre frontaux de mulet en cuivre représentant, l’un, la Vierge portant l’enfant, les trois autres Saint-Eloi. D. 135 ». Mme Agnès Mengelle nous a adressé les photographies de ces 4 plaques muletières en précisant qu’elles proviennent des Pyrénées Orientales. Toutefois, on constatera que - contrairement au descriptif du catalogue précité- toutes ces plaques sont dédiées à la Vierge portant l’Enfant Jésus, aucune figuration de saint-Eloi n’étant représentée. Par ailleurs, les techniques du pointillé, du « hachurage » et de l’estampage pour de menues décorations ne confèrent pas à ces plaques une grande qualité esthétique. En revanche, le fontal de la « cabeçada » représente bien saint-Eloi. Une photographie de cette bride muletière figure dans le catalogue précité (Planche XXI). Elle fait l’objet du descriptif suivant au n° 179 : « Partie du harnachement posée sur la tête de la mule, cuir bordé de blaireau et orné de motifs constitués par des clous de cuivre. Pompons rouges et bleus accrochés ou pointé sur le cuir. La cabeçada est accompagnée du frontal, disque de cuivre représentant saint Eloi. H. 730. INV. 37.1.8. Acquisition 1937 ». Rappelons que, dans son précieux opuscule, le Dr Charvet avait montré l’évolution de la bride pyrénéenne initialement pourvue d’un plumet, du frontal (plaque muletière), d’un couvre-naseaux et de miroirs. Au milieu du XIXe siècle, la « cabeçada » s’allège tandis que le plumet et la plaque muletière disparaissent. La « cabeçada » du musée de Lourdes est un prototype de l’ancien modèle.



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                    Plaque muletière du Musée Pyrénéen de Lourdes


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                    Plaque muletière du Musée Pyrénéen de Lourdes


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                    Plaque muletière du Musée Pyrénéen de Lourdes


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                    Plaque muletière du Musée Pyrénéen de Lourdes

A ces quatre frontons s’ajoutent deux autres plaques dont Mme Agnès Mengelle nous adresse également les photographies :

  • La première plaque présente un disque latéral à l’intérieur duquel est inscrite une croix à quatre branches pattées. Cette plaque comporte une charnière de fixation.
  • La deuxième plaque est constituée d’un disque central d’où partent de 4 branches ancrées et trois branches pattées (l’une semble faire défaut). Cette plaque a-t-elle été utilisée en tant que frontal ? La branche rognée comportait-elle un système de fixation ?

Ces deux plaques n’ont pas fait l’objet d’un descriptif et ne figurent pas dans le catalogue. Sont-elles bien originaires des Pyrénées Orientales ? Nos lecteurs ne manqueront pas d’observer une ressemblance frappante entre la plaque à branches pattées du Musée Pyrénéen de Lourdes et la plaque, originaire de Ligurie, du Musée d’Ethnographie de Genève (donnée en 1884 par Hippolyte Jean Gosse) que nous avons reproduite dans notre ouvrage (p. 46).



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                    Plaque muletière du Musée Pyrénéen de Lourdes


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                    Plaque muletière du Musée Pyrénéen de Lourdes




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                    Plaque muletière du Musée Pyrénéen de Lourdes



Remarques générales

Généraliste de l’art populaire, nous n’avons fait, dans « Des lunes belles comme des soleils », qu’ouvrir certaines pistes de réflexion relatives aux plaques muletières. D’autre part, tout en comptant un nombre extrêmement limité de souscripteurs, nous travaillons sur des sujets divers dont les choix s’imposent à nous pour des raisons aléatoires. Ces propos expliquent pourquoi nous n’avons pas vocation à publier une seconde édition de chacun de nos ouvrages même si nous voudrions rectifier certaines de nos erreurs et, à partir des informations nouvelles que nous découvrons au gré de nos lectures et des témoignages de nos lecteurs, compléter nos analyses. Faute d’une seconde édition, cet article contribue, modestement, à compléter certaines informations données dans notre ouvrage. Des recherches dans de nombreuses directions doivent être entreprises en commençant par compléter la liste des musées possédant des plaques muletières. Nous avions présenté les collections de 15 musées mais il est bien évident que cette liste n’est pas exhaustive. Dans l’attente d’autres informations fournies pas nos lecteurs, nous avons donc ajouté dans cet article, en comptant le frontal de la « cabeçada », les 7 plaques du Musée Pyrénéen de Lourdes. Les différents auteurs qui se sont penchés sur le sujet ont distingué les trois grandes régions (Pyrénées françaises et espagnoles ; Savoie ; Cévennes) dont le relief suffisamment accidenté avait, d’une part, suscité l’apparition et le développement d’un trafic muletier et où, d’autre part, la bride du harnachement de cet animal de bât était pourvu d’une ou plusieurs plaques muletières. Notons que René Richard tendait à substituer la notion de Massif Central à celle de Cévennes. Nous n’avons fait que poursuivre dans le sens de cette extension géographique en étendant les Cévennes à une grande partie de l’ancien Languedoc. Par ailleurs et comme on l’a vu, d’autres plaques de mulet ont été trouvées dans d’autres régions européennes. La localisation des ateliers ou des artisans -plus ou moins importants,- fabriquant des plaques muletières pose de nombreux problèmes. Nous pouvons récapituler un certain nombre d’informations :

Plaques dites « languedociennes »

  1- La ville du Puy peut être considérée comme un important centre de fabrication.
  2- D’autres plaques ont été exécutées en Lozère (Mende), Ardèche (Annonay), Cantal (Saint-Flour et Massiac).
  3- Ces plaques présentent une grande variété de décors tant au plan des blasons  que des ornements ou de la représentation des saints.
  4- Les plaques à décor repoussé sont peut-être plus anciennes que les plaques à devise.
  5- Les plaques à devise sont nombreuses. Elles semblent incarner, davantage que les autres, une forme d’art populaire.

Plaques savoyardes

  1- Elles paraissent présenter un décor plus stéréotypé que les précédentes.	
  2- Les inscriptions se contentent de préciser le patronyme et l’origine géographique du muletier. Les devises proprement dites sont rares.
  3- Toutefois, la détermination de l’origine géographique de certaines plaques muletières pose problème. En effet, si certains décors (croix de Savoie, ostensoir, drapeaux, canons, etc.) ne prêtent pas à l’équivoque, on peut attribuer à la Savoie certaines plaques représentant Saint-Antoine

Plaques pyrénéennes

  1- La confrontation des plaques pyrénéennes de la collection René Richard et celles du Musée de Lourdes ne contribue pas à simplifier les choses. Les premières sont de bonne facture tandis que les secondes (à l’exception de la plaque ornant la  « cabeçada ») présentent un décor très simplifié.
  2- On peut penser que les plaques du Musée de Lourdes ont été exécutées par de modestes artisans. Rappelons que, dans une lettre en date de Mars 1884, Elie Vidon précisait que les plaques qu’il avait adressées au Dr Charvet provenaient de chez Teil François bourrelier bâtier à Arles sur Tech  (Pyrénées Orientales). On constate, par conséquent, que de modestes artisans exécutaient des plaques muletières à la fois dans les Pyrénées et dans le Massif Central (cf. plaque du Musée César Filhol réalisée par « Vincent Billio bridier d’Annonai »).  
  3- Notons que le cousin et correspondant du Dr Charvet mentionnait également² la présence fréquente de saint-Eloi sur les plaques provenant des Pyrénées orientales : « De là cette uniformité de gravures, de plaques qui portent les empreintes de saint Eloi patron des forgerons. A Corsavy et à Arles sur Tech, on célèbre encore toutes les années la fête de St Eloi ».
  4- Lors de la séance du 7 novembre 1883 la Société Archéologique de Tarn et Garonne, M Edouard Forestié présente plusieurs plaques muletières en usage dans le Roussillon au début du XIXe siècle représentant saint Eloi et saint Antoine de Padoue.
  5- Toutefois, des plaques pyrénéennes à devise sont susceptibles d’être mentionnées puisque, lors de la séance suivante du 5 décembre 1883, M Edouard Forestié présente un autre plaque, également trouvée dans le Roussillon, « qui porte une inscription galante, gravée en plusieurs lignes avec des caractères carrés ». 
  6- On peut penser que l’analyse des plaques pyrénéennes implique sans doute la collecte de plaques exécutées en Espagne. C’est déjà ce que sous-entendait, en 1884, un informateur d’Elie Vidon : Le père Pibell m’a dit que les plus belles de ces plaques se fabriquaient en Espagne ».



Conclusion

Au terme de notre étude, nous avons considéré les plaques muletières en tant qu’authentiques objets d’art populaire tant au plan de l’expression que de l’appréhension. En effet, qu’elles remontent aux calendres grecques, aux phalères romaines ou non, il s’agit de pièces ornementales dont les muletiers, ressortissants des couches les moins favorisées des populations rurales, empruntèrent l’usage à des classes sociales plus favorisées. D’autre part, l’approche de ces pièces d’apparat relève éminemment de l’art populaire s’il est vrai que, contrairement aux apparences, elle suscite une kyrielle de questions, les anciens auteurs n’ayant pas jugé bon de s’interroger sur des objets qui appartenaient à un monde qui n’était pas le leur ou auquel ils étaient devenus étrangers. Quant aux plus modestes qui en connaissaient un bout sur la question, on sait que l’oralité était, à de rares exceptions près, leur seul mode d’expression. S’il est réservé à des collectionneurs isolés ou à des conservateurs hors normes de faire partager la portée émotionnelle et esthétique de ces objets d’anthologie, seul un aréopage d’experts internationaux est capable d’en démêler les nœuds gordiens. Pour l’instant, nous en sommes souvent réduits à compiler les informations données par certaines inscriptions. Sans doute, les datations les plus anciennes apportent de précieux renseignements sans préjuger véritablement de l’origine historique du prototype en question. Ainsi, la plaque (reconvertie en écumoire) montre que la devise « CONTENTEMANT PASSE RICHESSE » était déjà d’actualité en 1670 à l’exclusion de toute référence antérieure. D’autre part, cette plaque qui figure dans les collections du Musée d’Ethnographie de Genève » provient-elle réellement de Maurienne ? Dans l’affirmative, il conviendrait encore de mettre en évidence les signes distinctifs qui confortent cette origine géographique. On voit qu’il reste encore bien des choses à apprendre sur les plaques muletières !